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Antoine Verney
Les estampes de Guido Llinás
MAGIE DE FIBRES ET DE LUMIERE
C'est
a Cuba d'où il est originaire, que Guido Llinás e'ffectue au début
des années quarante ses premières expériences picturales tant en
gravure qu'en peinture.
Celles-ci 1'engagent irrévocablement dans la voie de l'abstraction et
le conduisent au début des années cinquante a participer aux réflexions
et expositions du groupe de Los Once à la Havane.
Lorsque son itinéraire I'amène à s'installer aux portes cle Paris où
il reside en permanence depuis 1963, peinture et gravure constituent
deux modes dexpression complémentaires qui participent à
1'enrichissement d'un même univers plastique.
S'il a-borde la gravure sur metal par la fréquentation de I'Atelier
Hayter au début des années soixante, contrairement a beaucoup d'autres,
c'est avec le bois, un matériau vivant, qu'il a définitivement résolu
cle se confronter. Cette passion pour la gravure en relief 1'amène A
devenir au début des années quatre-vingt, l'un des animateurs du
groupe Xylotraces.
L'estampe constitue donc, dès l'origine, l'une des facettes privilégiées
des recherches plastiques de Guido Llinás. Elle lui permet notarnment
de poursuivre cette quête en collaboration.
Les livres qu'il 1abore depuis le milieu des années soixante avec des
écrivains tels Roberto Altmann, Julio Cortazar, José Lezama Lima,
Severo Sarduy, G. Cortanze, Michel Butor ou dernièrement Waldo Rojas,
constituent en effet des espaces de liberté destinés à être partagés.
Estampes et textes n'y constituent ni illustration ni commentaire et ne
sauraient être réduits á cle simples reflets mutuels. Ces oeuvres se
présentent comme des créations à quatre mains indéfectiblement unies.
Son oeuvre gravé s'apparente tout d'abord à une véritable exploration
de la matière dont il n'épargne que 1'essentiel.
Celle-ci débute par la recherche d'un support brut choisi pour ses
qualités formelles.
Graveur xylophage, il arrache 1'épiderme, le déchirent au plus profond
de la chair. Ce travail, il le rnène instinctivement, le rythme
improvisé qu'il impose à la houe dont il use pour s'attaquer au bois,
lui permettant de renouer avec les harmonies séculaires qui s'associent
a la magie occulte du signe.
La matrice possède dès lors la franchise d'une terre nouvellement défrichée.
Que la fibre noueuse refuse à terme de restituer 1'encre, que les
esquilles ligneuses soulignent l'arrachement, elles seront préservées.
Blessures non cicatrisées, elles sont sources même de la vivacité
plastique de l'ceuvre à venir.
Son support, son outil, ses gestes pourraient être ceux d'un sculpteur,
ses matières sont celles du graveur: il fait jaillir la lumière qu'il
sait ètre pigée au coeur du panneau, réfugiée entre les fibres.
Seul le tirage permet de révéler le blanc qui s'impose alors définitivement
comme maître du jeu. A l'impression, le papier humecté qui recueille
1'emprunte maculée des espaces préservés, vient parallèlement panser
les plaies de la surface écorchée, alors stigmatisée en plages
immaculées.
Creux et reliefs se muent alors en plans, transfigurés en une
confrontation finale de xylèmes d'ombres et de couleurs happés par la
nitescence du support révélateur.
Aussi pouvons-nous affirmer que la magie des estampes de Guido Llinás
tient à la révélation d'un savoir perdu, celui cle la matrice de
fibres et de lumière que nous portons enfouie en chacun de nous.
Antoine Verney
Conservateur
du Musée Baron Gérard de Bayeux
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